ANTILLES CONSEILS TECHNIQUES ET EXPERTISES

1 expertise 2 outils
3 solutions clés !

Amiante dans les écoles une ombre au tableau


Cet article a été publié sur le site Prévention amiante


 

On trouve tous les ingrédients pour faire du bruit : des enfants et adolescents en première ligne, un risque sanitaire connu de longue date, et aussi beaucoup d’inertie des pouvoirs publics. Une bonne part des quelque 63 000 établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) en France contient toujours de l’amiante. Dans quel état ? On ne le sait pas toujours, faute de transparence.

Amiante dans les écoles une ombre au tableauAbsence de DTA, DTA non conforme ou non mis à jour, il est très difficile de dresser un état des lieux précis concernant l’amiante dans les établissements scolaires français.

À Bagnolet, la découverte d’amiante a entraîné quatre jours de grève au collège. Dans le Val-de-Marne, c’est carrément un lycée avec ses 900 élèves qui déménage après la chute de faux plafonds amiantés et un empoussièrement mesuré à plus de 5f/L. Deux exemples parmi d’autres puisés dans la presse des dernières semaines. La liste n’est pas exhaustive. Google actualités livre des dizaines et dizaines de mobilisations locales de parents d’élèves au cours des dernières années. Un peu plus ces derniers temps ? On serait tenté de le penser, même si ce genre de phénomène reste toujours délicat à mesurer. C’est du moins le sentiment partagé par plusieurs observateurs qui suivent cette situation. Du côté de la fédération d’élèves FCPE, on évoque un écho plus favorable, avec une prise de conscience environnementale. Au point d’envisager une action nationale qui traiterait des questions environnementales en général, de l’amiante en particulier. Alain Bobbio, le secrétaire national de l’Andeva (association nationale de défense des victimes de l’amiante) confirme l’impression d’un emballement sur le sujet. « Ces dernières semaines, nous sommes bombardés de demandes de renseignements », remarque-t-il. Tantôt des parents d’élèves, tantôt des enseignants, en région parisienne comme en province. Souvent désemparés, et ne connaissant pas grand chose de l’amiante, si ce n’est qu’on peut déclarer un cancer. Ce qui est déjà bien suffisant pour s’inquiéter.

Effet boule de neige, bénéficiant d’une forte médiatisation, ces mobilisations locales inspirent d’autres parents, enseignants voire élèves, à s’interroger à leur tour. « Il y a une espèce de feu de cheminée, et une prise de conscience de la nocivité de l’amiante », poursuit Alain Bobbio. Au sein de l’Addeva 93, Henri Boumandil ne s’occupe plus que des écoles. « Nous sommes dépassés par les événements. » Mi-février, cet ancien de l’OPPBTP, victime de l’amiante, comptait alors sept cas d’établissements rien que dans son département de Seine-Saint-Denis.

85% des établissements concernés par le DTA

Établissements antérieurs au 1er juillet 1997 dont le DTA mentionne la présence d’amiante

On le sait, l’amiante est très présent dans les établissements scolaires. Alain Bobbio se livre à un rapide inventaire : dalles de sol, cloisons, faux plafonds, plaques de façades, auvents de préaux, flocages encore aussi parfois… Pas seulement dans les bâtiments, aussi dans le matériel. Hervé Moreau du Snes (Syndicat national des enseignants du second degré) évoque des paillasses de celles qu’on rencontre dans les salles scientifiques, ou des établis de lycées professionnels. Oui, beaucoup d’amiante, mais malheureusement, on ne sait pas toujours où exactement, ni dans quel état. L’information reste défaillante, et la communication généralement timide, quand elle n’est pas totalement absente. Diffusé début 2017, un rapport de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement (ONS), un satellite du ministère de l’Éducation nationale, permet sans doute de prendre la mesure du problème. En 2016, l’Observatoire avait lancé une enquête* auprès de tous les établissements scolaires de France et de Navarre, avec un questionnaire sur le DTA. Les résultats révèlent une situation pour le moins préoccupante. Au total, 85% des établissements scolaires sont susceptibles d’être concernés par l’amiante avec un permis de construire d’au moins un de leurs bâtiments antérieur au 1er juillet 1997. Écoles, collèges ou lycées, professionnels, publics ou privés, le taux reste sensiblement le même. Jusque là, rien de très étonnant, la poussée démographique des Trente Glorieuses coïncidant avec l’ère du tout amiante. Plus surprenant en revanche, l’Observatoire évoque des situations de méconnaissance totale. En particulier du côté des écoles élémentaires et maternelles publiques, où en 2016, 30% d’entre elles n’avaient toujours pas réalisé de DTA !

Une enquête réalisée en 2016 révèle que seulement 30% des écoles élémentaires et maternelles publiques avaient réalisé un DTA à cette date.

Silence, il y a de l’amiante !

À ces établissements, on pourrait ajouter ceux où le DTA ne revêt pas une grande utilité : entre les diagnostics non conformes (l’Andeva dit en relever beaucoup), des diagnostics non mis à jour, ou non communiqués aux occupants des locaux, sagement rangés dans les tiroirs des collectivités locales. Autre chiffre tiré du rapport : seulement 36% des écoles publiques construites avant le 1er juillet 1997, avait un DTA consultable dans leurs locaux. Pourquoi parler de quelque chose qui fait peur ? Vingt ans après son interdiction, l’amiante reste tabou. Hervé Moreau parle de « déni et de communication absente ». Côté Andeva, on cite des exemples de mairies, où pour apaiser des parents d’élèves, un édile prétendait faussement à l’absence d’amiante ou à l’absence de danger en raison du caractère non-friable (sic)… Le ministère en convient lui-même dans son rapport. Extrait qui ne manque pas d’éloquence : « Des centaines d’établissements, en quasi-totalité au niveau des écoles publiques, ont ainsi signalé le refus des propriétaires de délivrer les DTA ou de donner les informations relatives au questionnaire malgré maintes sollicitations ». Et d’ajouter plus loin, « dans les petites collectivités, le mot “amiante” semble bien souvent tabou, le maire est rarement un expert de ces questions et ne dispose pas de moyens immédiats pour y faire face. »

Chiffres clés Amiante école

Situation alarmante

La méconnaissance -pour ne pas dire négligence- peut entraîner des expositions à l’amiante. À quelle échelle ? Personne ne sait au juste. Un exemple revient souvent dans les propos de nos interlocuteurs, celui de nettoyeuses avec des disques abrasifs continuant à être utilisées sur des dalles de sol amiantées. Ou simplement le frottement des chaises des élèves sur des dalami usés. Henri Boumandil donne aussi l’exemple d’un plombier intervenant dans une école de la région parisienne, et ouvrant une fenêtre… dans une plaque amiantée. C’était fin 2017. La situation est d’autant plus alarmante, que « les bâtiments sont de plus en plus dégradés », relève Hervé Moreau. C’était notamment le cas du lycée Brassens en région parisienne évacué courant janvier. L’enquête de l’Observatoire permet de se faire une petite idée sur l’état de conservation des matériaux contenant de l’amiante : en 2016, la moitié des DTA réalisés réclamaient une surveillance dans les écoles, et 2% une mesure d’empoussièrement. Dans le second degré, les obligations relatives aux mesures d’empoussièrement et aux obligations de travaux concernaient 5% des établissements. Autre indice, une enquête menée par le magazine Lyon Capitale en 2014 montrait que parmi les 118 écoles lyonnaises disposant d’un diagnostic, 94 se révélaient positives à l’amiante –dans 324 endroits différents- et pour 18 établissements, le diagnostiqueur avait même recommandé l’encapsulage ou le désamiantage en raison du mauvais état du matériau !

« La première exigence qui se pose, c’est la transparence. Le DTA doit être communiqué aux personnels de l’établissement et régulièrement mis à jour », plaide Alain Bobbio. Et la réglementation mise en œuvre judicieusement. « Il ne sert à rien de pratiquer des mesures d’empoussièrement pendant les vacances, lorsque les locaux sont vides. Les mesures doivent être effectuées dans les conditions réelles d’utilisation, lorsque l’air est brassé, lorsqu’il y a du mouvement. »

Manque de volonté politique

Dire que rien n’a été fait depuis 1997 serait cependant inexact. Suivi du personnel, prévention, des dispositifs sont régulièrement relancés au sein de l’Éducation nationale. Le rapport de l’Observatoire évoque des enquêtes récurrentes menées depuis 1996. Mais il y a à l’évidence beaucoup d’inertie depuis 20 ans. L’explication tient en grande partie à la dispersion du parc des établissements qui se partage entre les communes, les départements et les régions. Chacun se renvoie la balle. Un discours que Hervé Moreau rejette. « Pendant longtemps, l’Éducation nationale nous a répondu que cette question relevait des propriétaires des établissements. En fait, cela ne change rien, l’employeur est responsable de la santé. La situation est identique à celle du privé où la plupart des employeurs ne sont pas propriétaires de leurs murs. » Alain Bobbio de l’Andeva regrette le manque de volonté politique. Si un désamiantage rapide et massif apparaît fort peu réaliste pour des raisons budgétaires, un projet pluriannuel d’éradication de l’amiante pourrait être envisagé, privilégiant les établissements où l’amiante est dégradé, et où sont accueillis des écoles maternelles. À ce chapitre, la France apparaît à la traîne sur certains de ses voisins européens. L’Andeva a d’ailleurs participé à l’été 2017 à une journée d’études à Manchester sur l’amiante dans les écoles. L’Angleterre a ainsi annoncé en 2017 consacrer quelque 23 milliards de livres sterling à la santé et à la sécurité, d’ici à 2021, notamment pour prendre en compte l’amiante dans les écoles. Au moment de l’annonce, le chiffre d’un million d’élèves anglais potentiellement exposés à l’amiante avait été avancé. Une initiative qui pourrait faire école.

Article écrit par Christophe Demay (Partenariat avec le magazine DIMENSION AMIANTE et DIMAG)

*Rapport 2016 de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement – Le rapport est consultable sur le site du ministère.

Amiante dans les écoles, bombe à retardement

14 décembre 2018


Publié le : 14 Déc 2018

Retour aux actualités